Tribune de Saro Mardiryan dans les Nouvelles d'Arménie Magazine

le 01 juin 2012

Tribune de Saro Mardiryan dans les Nouvelles d'Arménie Magazine

Tribune de Saro Mardiryan, Secrétaire Général du Parti Social Démocrate HENTCHAKIAN, publiée dans le numéro de Juin 2012 (n°186) des Nouvelles d'Arménie Magazine :

LA BRECHE

Les commémorations publiques du 24 avril 2010 en Turquie feront date. Ce jour-là, une brèche dans l'édifice du négationnisme de l'Etat turc a été ouverte. Il aura fallu attendre quatre-vingt quinze ans pour que ce qui relève de la normalité devienne enfin possible. C’était il y a deux ans à Istanbul, place Taksim, qu’une centaine de citoyens turcs, militant dans différentes associations et réunis au sein du collectif « Stop au racisme et au nationalisme », sans céder ni à la menace ni à la peur, levait le tabou et brisait enfin la chape de plomb de l’Etat négationniste turc qui pèse sur la société civile.

L’année dernière, ce collectif a organisé des commémorations dans cinq villes principales: à Istanbul, Ankara, Izmir, Diyarbakir et Bodrum, et cette année la manifestation du 24 avril place Taksim a réuni plus de 5000 participants.

Ces commémorations s'inscrivent dans le sillage de la pétition demandant pardon aux Arméniens pour la « Grande Catastrophe » de 1915, lancée le lundi 15 décembre 2008 par deux cents intellectuels turcs et mis en ligne sur Internet. Le texte traduit en plusieurs langues a réuni 30000 signatures avant d'être rendu inaccessible par des hackers nationalistes. « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande Catastrophe que les Arméniens ottomans ont subi en 1915 et qu’on la nie. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes sœurs et frères arméniens et je leur demande pardon. »

Soyons clair, net et précis! Tout d'abord, la douleur est du côté des Arméniens, et, au mieux la compassion du côté turc, pour les plus éclairés d'entre eux. Ensuite, le terme de « génocide » n'est pas évoqué dans cette pétition, pas plus que dans les commémorations de la place Taksim. Les intellectuels et démocrates turcs à l'initiative de ce mouvement qui se cherche encore, craignent de braquer la société et de susciter le rejet plutôt que l'adhésion. Leur intention est louable, mais insuffisante pour ébranler le négationnisme qui gangrène la société turque.

C’est à la branche d’Istanbul de l’Association des Droits de l’Homme à qui revient le mérite d'avoir réellement ouvert la brèche, en utilisant publiquement le terme de « génocide » pour la première fois en Turquie lors d'une commémoration du 24 avril. Cette manifestation s'est tenue le 24 avril 2010 en parallèle du rassemblement place Taksim, puis l'année dernière et cette année encore, devant le Musée des arts islamiques, anciennement le Palais Ibrahim Pacha, qui était précisément l'endroit où les intellectuels arméniens, raflés le 24 avril 1915, ont été retenus dans des cellules avant leur « dernier » voyage.

Un hommage appuyé doit être rendu à cette poignée de militants des Droits de l'Homme pour leur compassion et la honte qu'ils éprouvent face à notre infinie douleur et injustice.

Puisque l’Etat turc s'obstine dans sa politique négationniste, le changement doit venir de la société civile. La position courageuse de l'association des Droits de l'Homme doit faire tâche d'huile à tous les niveaux de la société civile turque.

En effet, la douleur de la nation arménienne ne saurait être soulagée sans que le crime qu’elle a subi ne soit nommé, sans que la vérité ne soit connue et reconnue, sans que justice ne lui soit rendue. Ce crime contre l’humanité porte un nom, il s’agit d’un GENOCIDE. Et il n'y aura pas de JUSTICE sans REPARATION.

Aux intellectuels, aux démocrates, aux humanistes et aux militants des Droits de l’Homme qui se battent en Turquie pour que la vérité éclate, nous apportons notre soutien et nous leur demandons d’être les dignes successeurs de Hrant Dink, de poursuivre le difficile travail qu’il a entrepris pour développer la conscience de la société turque sur sa propre histoire, condition sine qua non de paix et du rapprochement entre les peuples turc et arménien.

Nous appelons les intellectuels, les démocrates, les humanistes et les militants des Droits de l’Homme à suivre l'exemple de branche d’Istanbul de l’Association des Droits de l’Homme, nous les appelons à se rapprocher de leur position, nous les appelons à faire s'effondrer l'édifice du négationnisme d'Etat. Car ce sera grâce à la pression intérieure de la société civile turque, couplée à la pression de la communauté internationale, que les Turcs et les Arméniens atteindrons leur idéal commun: une Turquie démocratique débarrassée de son nationalisme séculaire et reconnaissant enfin la réalité du génocide des Arméniens!

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